Brest, 9 septembre 1944 : la tragédie de l’abri Sadi Carnot
- Odile Prigent
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Dans la nuit du 8 au 9 septembre 1944, la population brestoise, déjà rudement éprouvée par plusieurs années d’occupation, a subi l’un des événements les plus meurtriers de l’histoire.
Le contexte historique
La ville de Brest, à l’extrême Ouest du Finistère, est occupée par les Allemands à partir de juin 1940. Très vite, elle devient une cible stratégique des armées alliées, qui cherchent à affaiblir les installations ennemies. En effet, la marine allemande a basé ses sous-marins dans la rivière de la Penfeld, qui abrite le port militaire.
La construction
Dès le printemps 1941, ne pouvant pénétrer par la mer, les alliés intensifient les bombardements aériens.
Mr Victor Eusen, président de la délégation spéciale chargée de gérer Brest entre 1942 et 1944, prend la décision de construire plusieurs abris souterrains pour protéger la population des bombardements. Ceux-ci seront bien utiles pendant près de 18 mois, jusqu’au drame du 9 septembre, puis la libération de la ville le 20 septembre 1944.
Si d’autres abris de grande capacité sont aménagés ailleurs dans l’agglomération brestoise (Wilson-Suffren sous la Préfecture Maritime et un autre sous l’hôpital Ponchelet), l’abri Sadi Carnot est édifié en plein centre-ville entre 1942 et 1943. Messieurs Estrade et Pommeret sont chargés du projet, qui est réalisé en 9 mois et livré au printemps 1943.
L’édifice s'étend sur une longueur de 560 mètres, et peut accueillir environ 5000 personnes se tenant debout. Une première entrée, constituée par un escalier de 154 marches, se trouve place Sadi Carnot. L’autre issue se situe porte de Tourville (porte de l’arsenal militaire). La profondeur du souterrain est d’environ 25 mètres.

La catastrophe
Les prémices de la fin du conflit
Entre le 14 janvier et le 16 février 1943, le port de Lorient, dans le Morbihan, est littéralement arrosé de bombes incendiaires avec plus de 60 000 projectiles. Un nouvel ordre d’évacuation est donné à Brest, mais de nombreux habitants demeureront tout de même en ville jusqu’à la fin des combats à la mi-septembre 1944.
Le siège de Brest
Le 31 juillet 1944, les Américains, sous le commandement du Général Patton, effectuent la percée d'Avranches et foncent vers Brest sans rencontrer de résistance. Ils pensent qu'une semaine suffira pour faire tomber Brest.
Le 7 août 1944, les premiers blindés américains se trouvent à une quinzaine de kilomètres au nord de Brest. Les troupes américaines se retrouvent face à une garnison allemande lourdement armée et fort bien retranchée. C'est le début du siège de Brest qui durera 43 jours avant la reddition des Allemands le 18 septembre 1944.
Le 14 août, la majorité des civils qui se trouvent encore dans Brest évacue la ville. Victor Eusen, président de la Délégation Spéciale, assure la survie des quelque 2 000 Brestois restés dans la cité. L'abri Sadi-Carnot est alors le siège de ce qu’il reste des services administratifs de la municipalité.
Le 3 septembre, le général allemand Ramcke convoque Victor Eusen et lui annonce qu'il se défendra jusqu'au dernier homme dans les fortifications de la ville. Il exige l'évacuation de tous les civils car il a besoin des abris. Mais celle-ci est devenue impossible. Il consent à laisser aux Français une partie de l'abri Sadi-Carnot, à condition qu’ils n’en sortent plus. Ce boyau mesure environ 256 mètres de longueur. Du côté allemand, il y a des soldats de l'organisation Todt (spécialisée en génie civil) et des parachutistes de la compagnie de réserve. Seule une cloison de bois sépare les deux « camps ».
La nuit du 8 au 9 septembre 1944
Bien que cela soit contraire à la Convention de Genève de 1864, car l’abri Sadi Carnot est destiné à une occupation civile, une grande quantité de caisses de munitions est entreposée dans la partie qu’occupe l’Ennemi ; elles voisinent avec des bidons d’essence alimentant le groupe électrogène allemand destiné à l’éclairage.
Cela fait maintenant 27 jours que les Brestois sont réfugiés sous terre, dans de piètres conditions d’hygiène, et une forte promiscuité.
À 2 h 30 du matin, un soldat Todt chargé du groupe électrogène se lève pour le mettre en marche. À la suite d'une fausse manœuvre, un incendie éclate. Sur les causes de cette catastrophe, les témoignages des rescapés diffèrent : altercation entre officiers allemands, cigarette mal éteinte, fausse manœuvre pour allumer le groupe électrogène ? On ne le saura jamais.
Ceux qui réagissent rapidement sortent dans les fumées après avoir monté les 154 marches de l'escalier. Un grondement sourd, d'une énorme puissance, ébranle la voûte. Ceux qui sont au bout du tunnel sont éjectés comme des fétus de paille. Les autres sont coincés contre la grille qui s'est refermée sous le choc, ou morts à l'intérieur.
Toutes les munitions ont explosé, transformant le long tunnel en un véritable canon. Les flammes s'élèvent à 30 mètres au-dessus de l'entrée. 373 Français sont morts, carbonisés d'un seul coup, Victor Eusen est au nombre des victimes; cinq à six cents Allemands auraient été tués.

Conséquences et mémoire
La tragédie de l’abri Sadi Carnot souligne les conditions extrêmes endurées par les populations civiles pendant la guerre, prises au piège entre les forces en conflit.
Des travaux ont été entrepris pour permettre désormais la visite de l’abri (les week-ends des vacances scolaires), et répondre au double objectif de devoir de mémoire et de diffusion d'un message de paix.
