Le 25 août 1944 en Indre-et-Loire, 124 habitants de la commune de Maillé furent massacrés par des soldats allemands. Totalement oublié pendant plus de soixante ans, ce drame sort peu à peu de l’ombre depuis le milieu des années 2000.
Maillé est une commune rurale du sud de l’Indre-et-Loire, située à égale distance entre Tours et Poitiers. Bordé par la nationale 10 et traversé par la ligne de chemin de fer Paris-Bordeaux, le bourg était situé à quelques centaines de mètres d’un camp militaire, le camp de Nouâtre, qui hébergea, à partir de l’été 1940, près de 300 soldats allemands. En effet, situé en zone occupée, le village de Maillé se trouvait à seulement quelques kilomètres de la ligne de démarcation. En raison de l’existence de ce camp, la population dut s’accommoder de la présence de ces soldats qui circulaient quotidiennement dans le bourg, se rendaient dans les commerces et les cafés… Cette cohabitation subie se passa néanmoins plutôt bien jusqu’à la fin de l’année 1943.
En février 1944, probablement à la suite de dénonciations, les Allemands lancèrent une vaste opération de démantèlement d’un réseau de résistance dans le sud de la Touraine. Le dimanche 13 février, le curé de Maillé, l’abbé Henri Péan, est arrêté à la sortie de la messe et emmené dans les locaux de la Gestapo. Suivent une quarantaine d’autres arrestations. Torturé, le curé fut assassiné à la fin d’un interrogatoire.
Malgré ce premier moment de tensions, la situation locale resta paisible jusqu’à l’été 1944.
À partir du débarquement allié en Normandie, les actions de la Résistance locale se multiplièrent. Au mois d’août, en l’espace de quelques semaines, la ligne de chemin de fer fut sabotée à trois reprises. Le 24 août, dans la soirée, deux véhicules allemands passant à proximité du village furent mitraillés par un groupe de maquisards.
Dans la matinée du 25 août, un groupe de Waffen-SS venu de Châtellerault prit position dans un bois situé à quelques centaines de mètres du bourg. Dans le même temps, des avions alliés mitraillèrent un train circulant sur la ligne Paris-Bordeaux à hauteur du village ainsi qu’un convoi sur la nationale 10.
Aux alentours de 9h00, les soldats se mirent en marche au pas et arme à l’épaule vers Maillé. Après avoir dépassé les deux premières fermes sur leur route et atteint le bourg, ils se scindèrent en plusieurs groupes et commencèrent le massacre. Maison après maison, ils assassinèrent les habitants qu’ils voyaient et incendièrent les bâtiments. Certains soldats firent demi-tour et tuèrent les habitants des fermes devant lesquelles ils étaient passés quelques minutes auparavant. Hommes, femmes, enfants, bébés… les Allemands ne firent aucune distinction d’âge ou de sexe. Les animaux furent eux aussi systématiquement abattus. Les habitants furent totalement pris par surprise. Habitués à voir des Allemands, la plupart n’eurent pas le temps de comprendre l’importance du danger. Seules quelques familles eurent le réflexe de se cacher. Les quelques habitants qui cherchèrent à fuir subirent les tirs de sentinelles positionnées tout autour du bourg pour empêcher la population de quitter le village et les personnes des alentours de venir secourir Maillé. Vers midi, les soldats quittèrent le bourg, semblant en épargner les maisons les plus au nord. Vers 14h00, une pièce d’artillerie installée par les Allemands dans la matinée sur une colline surplombant la commune commença à tirer sur les maisons. Un à un, les bâtiments furent détruits, qu’ils fussent situés dans la partie traversée par les soldats pendant la matinée ou dans celle laissée intacte.
Le cordon de sécurité établi par les Allemands autour du village resta en place jusqu’au lendemain dans la matinée. Lorsque les secours purent enfin pénétrer dans le bourg, ils découvrirent un bilan particulièrement lourd : 124 victimes âgées de 3 mois à 89 ans, dont 50 enfants de quinze ans et moins.
Aujourd’hui encore, de nombreuses zones d’ombre planent sur ce massacre. Les troupes responsables de ce crime de guerre n’ont pas été identifiées dans les années d’après-guerre, laissant supposer qu’il était l’œuvre de « troupes hétéroclites, ramassées au fur et à mesure de la retraite ».
Différentes recherches vont aussi être menées pour retrouver les officiers responsables. Les enquêtes, lacunaires, vont amener à la condamnation à mort par contumace du sous-lieutenant Schlüter, alors en poste à Sainte-Maure-de-Touraine. Ayant fui à la suite de sa première audition en 1950, cet officier décèdera à Hambourg en 1965 sans avoir été de nouveau inquiété.
En 2005, alerté par un article publié dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung ainsi que lors d’une conférence organisée à Stuttgart sur le massacre de Maillé, le procureur général de Dortmund décide de rouvrir une enquête. Celle-ci est classée sans suite en 2016, faute d’aveux d’un soldat auditionné et faute de preuves matérielles permettant d’inculper un individu. Néanmoins, les travaux de plusieurs historiens, parmi lesquels Peter Lieb, conduisent à penser que l’action a été menée conjointement par des soldats d’un Feldersatzbataillon de la 17e Götz von Berlichingen, des soldats des 196e et 197e régiments de sécurité et des soldats stationnés au camp de Nouâtre. Il est tout de même nécessaire de préciser que, parmi les soldats encerclant le bourg de Maillé, certains vont chercher à sauver des habitants en leur recommandant de se cacher ou de fuir. Certains vont aussi refuser de tirer sur des fuyards. Par ailleurs, alors que pendant des années la responsabilité du massacre a été attribuée aux maquisards qui ont multiplié les actions sur le territoire de la commune de Maillé, il semble désormais qu’il faille chercher une raison plutôt liée à un contexte général et à la volonté des Allemands de rétablir leur autorité par l’application d’une politique de terreur à l’encontre de la Résistance et des populations civiles.
En raison de la date du massacre en elle-même - le jour de la libération de Paris - , les commémorations ont souvent lieu dans un anonymat total. Hormis en 1945 où le ministre de la Reconstruction vient poser la première pierre de la reconstruction du village, les élus de Maillé déplorent l’absence de membres du gouvernement jusqu’en 2004.
De 1945 à 1953, le bourg est reconstruit. Durant ces années, les sinistrés reçoivent l’aide généreuse d’un couple de millionnaires américains, les Hale. Ces derniers font venir des États-Unis les biens de première nécessité afin de permettre à la vie de redémarrer dans le village. Mobilier, draps, vaisselle, vêtements, chaussures… ce sont plus de six tonnes de produits américains qui arrivent par containers dans le village martyr. Particulièrement attentifs au sort des enfants, le couple Hale continuera à offrir des cadeaux à Noël et à chaque fin d’année scolaire.
Durant cette longue période, le massacre sombre dans l’oubli. L’absence de traces ou de ruines, ainsi que la discrétion et la modestie des monuments commémoratifs rendent cette tragédie invisible dans le village. Par ailleurs, même entre eux, les survivants peinent à évoquer cette journée du 25 août 1944. Seul un ouvrage, écrit par le curé du village l’abbé Payon en 1945, raconte le drame.
Le réveil de la mémoire s’effectue en plusieurs étapes. Tout d’abord en 1994, lorsque les Archives départementales d’Indre-et-Loire décident d’organiser une exposition dédiée au massacre à l’occasion de son cinquantième anniversaire. Cette exposition entraîne une prise de conscience de l’ampleur du drame et de la nécessité de témoigner. Un an plus tard, les survivants créent une association dont l’objectif est d’entretenir la mémoire de cet évènement.
En 2002, un changement de municipalité va considérablement accélérer le processus mémoriel. En quelques mois, le projet de création d’un lieu de mémoire à vocation pédagogique est lancé, et plusieurs films de témoignages sont réalisés. En 2006, la Maison du Souvenir ouvre ses portes.
Le 25 août 2008, pour la première fois, un Président de la République française se rend à Maillé. Au nom de l’État, il reconnaît le massacre, et aussi la « faute morale » commise par la France durant ces années où elle a laissé les victimes de ce drame tomber dans l’oubli.
Dix ans plus tard, le 24 novembre 2018, c’est un représentant du gouvernement de la République fédérale d’Allemagne, M. Michael Roth, qui vient se recueillir devant le mémorial.