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Le portrait de Josefina Guerrero : espionne philippine de la Seconde Guerre mondiale


Josefina « Joey » Guerrero a transmis des informations essentielles aux États-Unis concernant les défenses japonaises à Manille  ·  © Lea Schram von Haupt /  The National WWII Museum
Josefina « Joey » Guerrero a transmis des informations essentielles aux États-Unis concernant les défenses japonaises à Manille  ·  © Lea Schram von Haupt /  The National WWII Museum

Lors des combats extrêmes de la Seconde Guerre mondiale, les femmes vont assurer un soutien opérationnel et organisationnel. Néanmoins, certaines d’entre elles ne vont pas se contenter de remplir ces fonctions d’assistance mais vont participer activement sur le front de différentes manières et notamment en s’engageant dans la Résistance, dans la lutte contre l’Allemagne nazie mais également contre les différentes puissances de l’Axe. Les hommes n'étaient donc pas les seuls à participer aux triomphes. À travers le monde, des femmes courageuses ont pénétré les systèmes de renseignement en tant qu’espionnes et agentes, risquant leur existence pour fournir des renseignements essentiels. C’est le cas de Josefina Guerrero qui, malgré la maladie qui l’a isolée et rejetée de la société, va transformer son malheur en une force insoupçonnée.



Une enfance lumineuse, un destin bouleversé


Josefina Guerrero, née le 5 août 1917 à Lucban au Philippines, c’est une petite fille très croyante, qui admire notamment la force et le courage de Jeanne d’Arc, et se rêve également en héroïne. Suite au décès de ses parents elle est éduquée par des religieuses et est décrite comme une jeune fille pleine de vie et joyeuse.


En 1941, alors heureuse maman depuis 2 ans, Josefina contracte la maladie de Hansen, connue également sous le nom de «lèpre» juste avant que le Japon n’envahisse son pays. Innocemment, elle ne comprend pas tout de suite la gravité de sa maladie. Les maux de tête et la fatigue extrême ne l’alerte pas, puis le manque d'appétit et enfin les lésions corporelles vont apparaître, le diagnostic est donc posé : c’est la maladie de Hansen.


Au début, elle arrive à ne pas se laisser dépasser par ce mal. Mais la lèpre étant une maladie entourée de peur et de préjugés, lourdement stigmatisée (une maladie si effrayante que les personnes atteintes devaient sonner une cloche et porter un panneau indiquant qu'elles étaient contagieuses si elles marchaient dans les rues), son mari, le docteur Renato Maria Guerrero, un descendant de l’une des familles les plus importantes de Manille, va donc prendre la décision de se séparer d’elle et de l’éloigner de sa fille, Cynthia.



De l'invisible à l'héroïsme


Une bataille solitaire : l'intégration à la résistance philippine


Dans un contexte où le matériel médical se raréfie, elle est en incapacité de recevoir un traitement de qualité depuis que le Japon a envahi son pays en 1942. Josefina, désespérée, va tout risquer, car si elle doit mourir, elle veut mourir avec honneur. Elle prend donc contact avec un guérillero alors qu’elle a 24 ans. Ce guérillero lui répond brutalement qu’il n’acceptait pas d’enfant au sein de la résistance, ce à quoi Josefina Guerrero lui répond qu’il serait surpris de ce que les enfants peuvent faire en faisant un parallèle avec la jeune fille Jeanne d’Arc.


Elle devient donc espionne pour la résistance phlippine, en exerçant des missions de coursière. Elle voulait aider son pays, disant plus tard : 


« Peu importe que je vive ou que je meurs. » - Josefina Guerrero (The Leper Spy: The Story of an Unlikely Hero of World War II, Ben Montgomery )

Mais, faute de médicaments, son état a empiré. Des taches rouges ont surgi sur son visage, ses bras et son dos. Elle va même trouver une force dans le malheur de sa maladie puisque les japonais vont même jusqu'à négliger une résistante insoupçonnée. Puisque ils avaient l’habitude de faire des fouilles corporelles complètes, ils n’osent pas la contrôler à cause de la lèpre. Ils ne voulaient plus rien avoir à faire avec elle. À la vue de ses tâches, les sentinelles se sont pratiquement enfuies. Elle a commencé à embrasser la maladie comme un outil, mieux que n'importe quelle arme. 


Une espionne de l’ombre : des actions héroïques au péril de sa vie


Grâce à sa ruse et à la maladie qui la rend moins soupçonnable, cela va lui donner l’occasion de faire passer des messages secrets à l’intérieur de ses cheveux ou dans ses chaussettes. Sa maison se trouvant à proximité d’un bâtiment transformé en garnison japonais, elle mémorise les apparitions et le physique des hommes de l’armée impériale japonaise pour traquer leur mouvement. Elle apporte des vivres et même des armes aux résistants et aux soldats. 



Cette carte illustre le parcours à pied de Josefina, qui traquait la 37e division d'infanterie afin de fournir des informations cruciales pour leur avancée vers Manille ·  © Auteur inconnu / National WWII Museum, New Orleans Image
Cette carte illustre le parcours à pied de Josefina, qui traquait la 37e division d'infanterie afin de fournir des informations cruciales pour leur avancée vers Manille ·  © Auteur inconnu / National WWII Museum, New Orleans Image

La mission secrète était si dangereuse que le gestionnaire de l'espion religieux lui a conseillé de « se confesser et de faire un bon acte de contrition » avant de se lancer dans son dernier fossé pour fournir des informations qui pourraient sauver les hommes - une mission qui s'est avérée réussie.


Elle a d’abord marché 40 km jusqu'à Malolos, où elle a pris un bateau contournant une zone de combat active à travers Hagonoy, évitant les pirates de la rivière. De retour sur la terre ferme, elle a parcouru les 13 km restants jusqu'à Calumpit, pour découvrir que les troupes américaines avaient déjà avancé vers Malolos trois heures plus tôt. Elle a alors fait demi-tour, marchant à nouveau jusqu'à Malolos, où elle a finalement remis la carte au capitaine Blair de la 37e division d'infanterie.


Durant la bataille de Manille qui a suivi, Josefina a continué son travail courageux, soignant les blessés et transportant des enfants en lieu sûr, tout en risquant sa vie pour sauver les autres.



Une fin de vie marquée par l’effacement et l’émergence d’un héroïsme dissimulé


Une fin de vie marquée par l’effacement et l’oubli


À la fin de la guerre, Josefina Guerrero est envoyée et confinée dans la léproserie de Tala à Novaliches : ce lieu où l'on isolait les personnes atteintes de la lèpre. C’est ce même lieu où elle a subi des conditions de vie terribles qu’elle a retranscrit par écrit à un ami américain. Dans cet établissement insalubre, il n’y avait ni eau courante ni électricité. La plupart des patients s’endormaient par terre et mourraient de malnutrition, seulement quatre infirmières s’occupaient de 650 patients. Elle consacra donc son temps au nettoyage de l’établissement, elle a aidé à construire les cercueils des personnes décédées.


C’est un épisode qui suscita une large couverture médiatique puisque Arsenio Lacson, membre de la Chambre des représentants des Philippines, décida d’en écrire un article publié à la une du journal, plusieurs autres médias relatèrent les évènements, ce qui poussa le gouvernement local à enquêter. 


« Je suis venue ici pour rester pour trouver des gens malades, infirmes et affamés allongés sur des palettes, des morceaux de paille sur le sol. » - Josefina Guerrero


Après la guerre, Josefina a été exilée au Tala Leprosarium à Novaliches, situé à 15 miles au nord de Manille. Les conditions de vie y étaient horribles, et elle y a consacré le reste de son temps à lutter pour améliorer les conditions de vie des patients ·  © Auteur inconnu / National WWII Museum, New Orleans Image
Après la guerre, Josefina a été exilée au Tala Leprosarium à Novaliches, situé à 15 miles au nord de Manille. Les conditions de vie y étaient horribles, et elle y a consacré le reste de son temps à lutter pour améliorer les conditions de vie des patients ·  © Auteur inconnu / National WWII Museum, New Orleans Image

L’émergence de l’héroïsme dissimulé : de l’oubli à la reconnaissance


En 1948, grâce à son témoignage, le gouvernement agit pour améliorer les conditions de vie de la léproserie. Josefina Guerrero, est accueillie à la léproserie nationale de Carville en Louisiane aux États-Unis en tant que première étrangère atteinte de la lèpre et à se voir octroyer un visa pour entrer en Amérique pour suivre un nouveau traitement. La même année, son engagement durant la guerre et sa lutte contre la lèpre furent présentés dans le magazine Time et elle reçoit la Médaille de la Liberté, elle qui avait sauvé la vie de nombreux soldats américains. Elle a donc énormément contribué à déstigmatiser cette maladie. 


Josefina « Joey » Guerrero a reçu la Médaille d'honneur avec palme d'argent pour ses actions pendant la Seconde Guerre mondiale, qui ont « contribué à sauver la vie de nombreux Américains et Philippins », selon la citation du prix ·  © Auteur inconnu / Musée national de la maladie de Hansen
Josefina « Joey » Guerrero a reçu la Médaille d'honneur avec palme d'argent pour ses actions pendant la Seconde Guerre mondiale, qui ont « contribué à sauver la vie de nombreux Américains et Philippins », selon la citation du prix ·  © Auteur inconnu / Musée national de la maladie de Hansen

Guerrero a finalement quitté le devant de la scène et a mené une existence discrète, gardant secrète sa vie d'autrefois, en se renommant Joey Leaumax. Elle n'a vu sa fille que lorsqu'elle est devenue adulte une seule fois, lors de sa visite aux États-Unis. Josefina a refait sa vie et n'est jamais revenue aux Philippines.


La maladie de Hansen, ou lèpre, a longtemps été crainte et incomprise, entraînant l'ostracisme et l'exil des malades. Dans les hôpitaux, ils sont appelés « détenus », et sont isolés et interdits de visite. Beaucoup ont effacé leur passé, comme Josefina Guerrero, qui, des années après sa guérison, avait renié sa propre histoire. À sa mort en 1996, personne ne savait plus rien de sa fille perdue, de son exil en léproserie ou de son rôle héroïque en tant qu’espionne pendant la Seconde Guerre mondiale.


Finalement, à travers son engagement et son propre combat, Josefina a contribué à déstigmatiser la lèpre, redonnant dignité et humanité à ceux qui en souffraient, tout en brisant les chaînes de l'isolement social.


Dans l'ombre de la guerre, où les héros demeurent souvent anonymes, Josefina « Joey » Guerrero s'est distinguée par son courage, une héroïsme dissimulé qui allait mettre des années avant d'être reconnu. La maladie de Hansen, ou lèpre, a longtemps marqué son corps et sa vie, mais c'est finalement cette douleur qui est devenue son passeport et sa meilleure arme. En dépit de l'isolement et de la stigmatisation, elle a joué un rôle clé dans la résistance contre l'occupant japonais pendant la Seconde Guerre mondiale, risquant sa vie pour transmettre des informations vitales aux Alliés.


Joey Guerrero a mené des opérations périlleuses avec une bravoure qui n'a pas été ignorée par ceux qui savaient reconnaître la véritable valeur. Le major-général George F. Moore lui-même la crédita d'avoir fait preuve de « plus de courage que celui d'un soldat sur le champ de bataille », une reconnaissance qui, bien que tardive, soulignait l'ampleur de son héroïsme. Pourtant, malgré son rôle essentiel, son histoire est restée dans l'oubli pendant de nombreuses années, effacée par la douleur et l'isolement imposé par la maladie.


Il fallut attendre 2016 pour que sa biographie, The Leper Spy, écrite par Ben Montgomery, devienne finaliste pour le prix Pulitzer, attirant ainsi l'attention sur une femme qui, pendant trop longtemps, fut réduite au silence. C'est à travers son récit que l'on redécouvre son courage exceptionnel. Comme elle l'exprime elle-même dans les procès-verbaux du Congrès de 1952 : « C'était ma guerre silencieuse. ». Une guerre menée non pas sur le champ de bataille, mais dans les recoins dissimulés de la souffrance et du sacrifice, où la valeur ne réside pas uniquement dans la force physique.


« Au sommet de l'horreur de la guerre, dans des moments où d'autres auraient cédé à la peur, Guerrero a prouvé que la véritable bravoure ne se mesurait pas à la force, mais à la résilience et à l'engagement envers un idéal. Malade et souffrante, elle a porté un courage qui a sauvé des vies, redéfinissant ce que signifie être un héros en temps de guerre. La reconnaissance qui lui est aujourd'hui rendue, bien que tardive, témoigne de la force de son action et de l'importance de ne jamais oublier ceux qui, dans l'ombre, ont fait une différence monumentale. » - Ben Montgomery (The Leper Spy)

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