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Chloé François

Roumanie, 23 août 1944 : le coup d’État qui a redéfini le jeu géopolitique


Le roi Michel Ier et le maréchal Ion Antonescu - © Magazine Signal n°16, août 1941

Le coup d'État du 23 Août 1944 est un tournant décisif dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Il permet de renverser le régime de Ion Antonescu. Et alors que le pays, initialement allié de l’Axe, celui-ci passe aux côtés des Alliés.


Aux origines de l’insurrection…


Depuis 1940, bien que sous la monarchie de Michel Ier, le pays est gouverné par Ion Antonescu, car Michel Ier est considéré comme un enfant inexpérimenté (alors âgé de 18 ans). Couramment appelé le « Conducător » (le guide), Antonescu, officier et stratège militaire respecté, est une figure de la droite nationaliste qui s’allie avec la Garde de fer (mouvement fasciste influent) pour prendre le pouvoir.


Le régime d'Antonescu impose une répression sévère, avec des internements, des exécutions, et une économie pillée au profit de l'effort de guerre nazi.


Avec les défaites successives de l’Allemagne en 1943 et 1944, l’alliance d’Antonescu devient plus fragile. L’Armée rouge approche des frontières roumaines mais il reste fidèle à l’Axe, convaincu de pouvoir stopper l’avancée soviétique. L’opinion publique roumaine se retourne contre l’Allemagne et la guerre pèse lourdement sur le pays à la fois militairement et économiquement. Le mécontentement grandit, un mouvement de résistance s'est développé, impliquant toutes les couches sociales : ouvriers, paysans, intellectuels, et même des membres de l'armée. Leur organisation a mené à des grèves, des sabotages et des actions armées pour affaiblir le régime. 


…À l’essor de la lutte 


La résistance s'organise autour du Parti communiste roumain (PCR) qui parvient à rassembler diverses forces politiques et sociales : le Parti Social-Démocrate, le Parti National-Libéral, le Parti National-Paysan. Tous forment ensemble le Bloc National Démocratique (BND). Malgré les divergences idéologiques, leur objectif commun - celui de renverser la dictature d’Antonescu et de chasser les Allemands - et l’urgence de la situation les encouragent à se réunir. Les actions de résistance incluent des sabotages des installations industrielles (dépôts de munitions, arsenaux militaires) et une propagande clandestine visant à mobiliser la population contre le régime fasciste et l'occupation allemande. 


En 1944, le mouvement de résistance atteint son apogée. La population, inspirée par les victoires des Alliés et les avancées de l’Armée rouge, intensifie ses efforts. 


L’instant décisif : comment la Roumanie a rompu avec Hitler


Préparation de l’insurrection 


Des discussions secrètes entre les dirigeants des partis politiques antifascistes et des représentants militaires ont lieu pour définir les objectifs. Le PCR joue un rôle central dans l'élaboration du plan d’action. Un accord est trouvé pour coordonner des actions militaires et civiles. L'armée, encore sous contrôle de certains loyalistes d’Antonescu, est infiltrée par des officiers favorables à l’insurrection.


L'arrestation d’Antonescu 


Le matin du 23 Août 1944, Antonescu revient du front où il s’était rendu pour évaluer la situation militaire. Il convoque une réunion avec le gouvernement, où il décide de poursuivre la guerre aux côtés de l'Allemagne, malgré l'ampleur des défaites sur le front de l’Est. L'après-midi, Antonescu demande une audience auprès du roi Mihai I pour discuter de la situation. C'est à ce moment-là que le plan d'arrestation entre en vigueur. À 17h, lors de l’audience royale, Ion Antonescu et Mihail Antonescu (président du Conseil des ministres) sont arrêtés sur l'ordre du roi par des officiers de la garde royale. Une convocation est envoyée aux autres membres du gouvernement pour un Conseil de la Couronne fictif, où ils sont également arrêtés.


Prise de contrôle de Bucarest


Les forces patriotiques, soutenues par des unités militaires roumaines, s’emparent rapidement des principales institutions de l’État, des télécommunications et des points stratégiques de la capitale. Le palais royal devient le centre de commandement et les bâtiments du gouvernement sont sécurisés. Aussi, les radios sont prises en main par les forces patriotiques, permettant la diffusion rapide de la proclamation royale. Vers 22h00, le roi Michel Ier s’adresse à la nation par la radio. Il annonce la chute du régime fasciste, le retrait de la Roumanie de l’Axe et son ralliement à la coalition anti-hitlérienne. Il appelle également à la mobilisation générale pour libérer le pays. 


Il déclare :

« Roumains, la dictature a pris fin, et avec elle, cessent les abus. Le nouveau Gouvernement marque le début d'une ère où les droits et libertés de tous les citoyens du pays sont garantis et respectés. [...] La voie que nous choisirons, les armes en main, dépend de notre lutte pour le droit de décider du destin de notre pays. Le futur du pays dépend de notre volonté. Avec une confiance totale en l'avenir, faisons en sorte que la Roumanie de demain soit libre, forte et heureuse. » - Le roi Michel Ier

Dans la nuit, le roi Michel Ier quitte Bucarest pour se réfugier dans la petite localité montagnarde de Dobrița, afin d'assurer sa sécurité. Il restera hors de la capitale jusqu'à ce que la situation soit stabilisée.


Déclaration de sa majesté le Roi Michel Ier - © Arhiva Societăţii Române de Radiodifuziune

Affrontements avec les Allemands


La prise de pouvoir à Bucarest ne signifie pas la fin immédiate de l'occupation allemande. Dans la nuit du 23 au 24 août, des combats éclatent :

  • À Bucarest, des affrontements violents opposent les troupes allemandes stationnées dans la ville aux forces roumaines. Des unités allemandes tentent de reprendre le contrôle des points stratégiques, mais elles sont progressivement désarmées ou capturées;

  • À Ploiești et dans la vallée de la Prahova : les raffineries de pétrole, essentielles pour la machine de guerre allemande, sont un objectif stratégique. Les soldats allemands en poste sont délogés par des troupes roumaines et des ouvriers armés;

  • Au Nord de la Moldavie : une attaque surprise des unités allemandes dans la région de Mălini-Valea Seacă inflige des pertes importantes;


Les fruits de la révolte : conséquences nationales et internationales


En renversant la dictature d’Antonescu, le pays opère un changement stratégique majeur qui a des répercussions immédiates et profondes. Un gouvernement provisoire est mis en place, dirigé par le général Constantin Sănătescu. Il est composé de militaires et de représentants des partis membres du BND.


Les Alliés reconnaissent le rôle de la Roumanie dans la lutte contre l'Allemagne, ce qui permettra au pays de limiter les pertes territoriales lors des négociations de paix.


Le 12 septembre 1944, la Roumanie signe un armistice avec l’Union soviétique, mettant officiellement fin à son implication dans la guerre aux côtés de l’Axe. Elle inclut des conditions strictes, telles que la collaboration militaire avec l’Armée rouge. Cela permet notamment aux troupes soviétiques d’avancer plus rapidement dans les Balkans.


Soldats roumains et soviétiques après le coup de 1944 © Arhiva Institutului de Istorie al PMR. Din mapele de laborator. - Fototeca online a comunismului românesc

L’insurrection suscite un immense soulagement au sein de la population, qui voit dans ce renversement une chance de mettre fin à la guerre, aux réquisitions et à la terreur.  


En quelques jours, la Roumanie passe d’un statut de soutien de l’Axe à celui de membre actif de la coalition alliée, jouant un rôle clé dans la libération de l’Europe de l’Est. Si ce soulèvement met fin à la dictature fasciste, il ouvre également une nouvelle période de dépendance politique envers l’Union soviétique, dont l’influence façonnera durablement le futur du pays.


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